Je sui né le 22 août 1881 et baptisé le lendemain en la fête de saint Philippe Béniti, et c’est pour cette raison que je porte le prénom de Philippe. Mon parrain fut le révérend J.-P. Bélanger, curé de la paroisse, et ma marraine Catherine Lacoste, femme de Samuel Lacoste. Catherine Lacoste avait été élevée par mes parents. J’étais le plus jeune de la famille et, dans ce temps-là, on appelait celui-ci le gnochon. Comme vous voyez, j’ai commencé jeune à accepter les qualificatifs.
À ma naissance, ma mère fut déçue. Elle aurait aimé avoir une fille après son lot de garçons ! Mais ce fut encore un garçon, et le dernier; et je crois que c’est pour s’illusionner que ma mère me garda les cheveux longs et ma petite robe de velours rouge. Cette robe était un cadeau de mon parrain et je la portai jusqu’à l’âge de trois ans. Mais c’était aussi la mode dans ce temps-là.
Le temps de Fêtes, quand j’étais jeune, c’était merveilleux… Tout le monde allait à la messe de minuit et je trouvais cela bien beau quand je ne dormais pas. Le jour de Noël, après la messe, c’était la vente des bancs., ce qui amenait parfois des scènes cocasses car chaque famille tenait jalousement à acheter toujours le même banc.
Dans ce temps-là, le père Noël et Santa Claus limitaient leur commerce chez les Anglais et en ville. Ils n’étaient pas encore connus dans nos paroisses. Leur commerce et leur prestige ont bien augmenté depuis. Et le jour de l’An, c’était encore plus merveilleux. Il fallait préparer le grand repas : couper la viande de lard avec une hache sur une bûche de bois pour les tourtières, la saucisse et le ragoût de boulettes. Tous les mois de décembre, mes parents préparaient un voyage pour le marché : beurre, oeufs, etc… Ils allaient vendre ces produits en sleigh sur le marché à Ottawa et ils en profitaient pour compléter leurs emplettes des fêtes.
Un jour, ma mère acheta un petit moulin pour hacher la viande. Ça c’était merveilleux !
Il y avait aussi la cuisson des beignes et mon père qui baptisait le whisky. Il faut dire ici que les liqueurs douces n’étaient pas connues et que la bière n’était pas en vogue dans le temps.
Mon oncle Jean Lacoste venait la veille au soir nous inviter pour aller déjeuner le jour de l’An au matin, et avant de se se coucher, on accrochait nos bas au montant de l’escalier pour que le petit Jésus y vienne déposer quelques friandises. On avait pratiqué la sagesse tout le mois de décembre pour cela. Il venait y mettre quelques bonbons, mais pas beaucoup. Voyez-vous, les moyens de transport n’étaient pas développés comme aujourd’hui. Cela faisait beaucoup de colis à poster, et il n’était pas riche le petit Jésus. Chose étonnante, on recevait parfois un beigne qui ressemblait beaucoup à ceux de ma mère, mais on le trouvait meilleur. Des cadeaux ! Le petit Jésus était trop pauvre pour cela ! Aujourd’hui le petit Jésus ne vient plus, le père Noël l’a remplacé, comme Eaton et Simpson ont remplacé le marchand du coin. Et le matin du jour de l’An, quelle joie de trouver ces quelques friandises dans nos bas ! Comme on était heureux !
On allait s’agenouiller avec respect aux pieds de son père pour lui demander sa bénédiction qu’il nous accordait avec grande ferveur car il était un ardent catholique. Et aujourd’hui encore, tous les ans, mes enfants viennent à leur tour s’agenouiller devant moi pour me demander ma bénédiction, et c’est avec une profonde émotion que je demande à la divine Providence, du plus profond de mon coeur, de les bénir et de les protéger. Ils en ont tant besoin aujourd’hui avec cette vague d’agnosticisme et de libre-pensée qui déferle sur la belle province.
Il fallait se lever de bon matin pour aller déjeuner chez mon oncle Jean et, avant la clarté, il fallait aller à la messe mais on trouvait étrange qu’il fit noir si longtemps le jour de l’An. Le soir, parents et amis venaient souper chez mon père. Heureuse jeunesse !
Tous les ans, au temps des Fêtes, mes parents allaient à Ottawa chez les parents de ma mère, en sleigh double, et ils nous amenaient avec eux. Je me rappelle des barrières à péage autour de la ville; en ce temps-là, la confection des chemins en pierre concassées était accordée à des sociétés privées qui étaient autorisées à charger un droit de péage sur ces chemins.
Je me rappelle aussi avoir vu les petits chars à chevaux. Ma grand-mère demeurait sur le chemin Héron près de la rue Banks, avec ma tante Justine et mon oncle David, deux célibataires. On allait aussi chez mon oncle Léandre à Osgoode et chez mon oncle Johnny à Lime’s Bank.
Un automne, pour payer les études de Palma, ma mère vendit des lots qu’elle avait en ville et mes parents se rendirent à Ottawa par le train et m’amenèrent avec eux. Cette fois, je vis des tramways électriques et ce n’était pas rien car ça marchait tout seul. Je racontai tout cela à mes petits compagnons de classe.
Je commençai à aller à l,école à l’âge de six ans et j’eus pour maîtresse Nathalie Denis. J’étais très facile et, à la fin de l’année, je savais lire et écrire, pas à la perfection, mais certainement mieux qu’un certain notaire qui ne pouvait pas relire ses contrats ! À huit ans, j’eus pour maîtresse d’école Zéraphie Bertand. J’aimais l’école et j’apprenais bien car j’avais une bonne mémoire et il me suffisait de lire mes leçons deux fois pour les savoir par coeur.
Et je ferme cette page en ce 22e jour d’août 1668, le jour de mon 87e anniversaire. Je vous souhaite à tous: SANTÉ, BONHEUR, PROSPÉRITÉ, espérant qu’un jour on sera à nouveau réunis dans un monde meilleur.
Philippe Lacoste
St-André Avellin, le 22 août 1968