Lacostades vol 29 no 1
Journal les Lacostades Vol 29, No 1
21 January 2020
Montrer tout

Les Mémoires d’un vieux radoteux, par Philippe Lacoste (1ère partie)

St-Andrée-Avellin vers 1890

Fils de Pierre Lacoste et de Marie Turgeon, Philippe Lacoste naît à Saint-André-Avellin le 22 août 1881 et se marie à Rose-Alba Bisson en 1903. Conseiller municipal et marguillier, il s’intéresse au mouvement coopératif, ayant mis sur pied une coopérative laitière et une coopérative funéraire à Saint-André-Avellin. Ardent défenseur des politiques créditistes et membre du Crédit social, il est à l’origine de la formation du Ralliement créditiste du Québec dans le comté de Labelle. (note biographique tiré de BAnQ et du fonds Philippe Lacoste).

Publié à l’origine dans le Journal Les Lacostades Vol. 1 no 3. Juin 1990 de l’Association des familles Lacoste, sur la base du texte de l’auteur avec quelques corrections mineures de Jean Lacoste.

Dans une lettre que m’écrivait Soeur André (Antoinette Bélisle) le 28 novembre 1959, elle me disait : « Vous devriez écrire l’histoire de St-André Avellin ». Moi, écrire l’histoire de st-André Avellin ! Je n’ai pas les connaissances ni la capacité d’écrire une telle histoire. Je puis en donner ce que je sais, mais toute l’histoire, je laisse à d’autres plus capables que moi, la tâche d’écrire cette histoire. Un autre jour, un ami me dit : »Pourquoi tu n’écris pas ton histoire, l’histoire de ta vie ? » Mais qu’est-ce qu’elle a de particulier ma vie ? C’est l’histoire d’un pauvre type qui a tiré le diable par la queue toute sa vie sans pouvoir la lui arracher comme des millions d’autres dans ce monde moderne. Écrire ma vie, mes qualités mais aussi mes défauts. Et je me demande lesquels pèsent les plus lourds dans la balance de saint Pierre. Par exemple, cette habitude de dire des invocations et des litanies mais d’une manière pas très dévote ? Un soir que j’écrivais des notes dans un petit calepin, un de mes fils me dit : « Mon père pourquoi n’écrivez-vous pas vos mémoires ? J’aimerais les avoir plus tard. » Cela me fit réfléchir. Si mon père m’en avait laissé, je les apprécierais aujourd’hui. Mais mes parents ne savaient ni lire ni écrire. Il n’y avait pas d’école à Montebello au temps de leur jeunesse.

Je me dis pourquoi pas si cela peut les intéresser et leur faire plaisir. D’ailleurs, je ne suis plus bon à rien d’autre et puis cela va me faire passer le temps.

Bon, allons-y. Des crayons, du papier et la machine à écrire sur laquelle j’écris avec un seul doigt, l’index. On commence par se gratter la tête et on commence. On commence, mais par le titre c’t’affaire. On se gratte la tête à nouveau et puis EUREKA, j’ai trouvé.

Un jour, le beau Girouard qui s’était affublé créditiste mais n’en connaissait pas le premier mot, à court d’argument pour répondre à mes assertions, n’eut pas d’autre chose à dire que: « Il ne faut pas s’en occuper, c’est un vieux radoteux » C’est cela, j’accepte le qualificatif (un vieux radoteux).

Mais il y a toutes sortes de radotages. Moi, je radote dans la vérité, ce qui est beaucoup mieux que lui qui radote dans la fausseté et le mensonge. Je vous demande d’être indulgent pour le piètre écrivain que je suis. J’écris suivant mes faibles capacités qui, hélas, sont bien limitées et je dois me fier à ma pauvre mémoire.

Je n’ai pas les moyens d’aller puiser dans les registres mes renseignements que je dois donc quèter à droite et à gauche, de ceux qui voudront bien m’aider. Je vais donc vous raconter au mieux de ma connaissance, et avec sincérité, la vie comme elle se passait dans ces années-là. Je puis faire quelques erreurs involontaires. Mais qui n’en fait pas dans la vie? Je vous demande donc de me pardonner mes nombreuses fautes d’orthographe et de ponctuation que vous trouverez dans les lignes qui vont suivre. Quitte à ce que ceux qui voudront me copier de corriger ces fautes.

***

La famille Lacoste dit Languedoc

À l’exception de mon oncle Jean et de ma tante Angèle, je n’ai pas connu mes oncles et mes tantes du côté paternel. Mon oncle Charles était marié avec Élisabeth Turgeon. Il laissa deux fils et deux filles: Dolphis marié le 10 janvier 1871 avec Henriette Labelle, Ferdinand marié avec Léda Bélanger, Martine mariée avec David Labelle le 23 août 1870, Marie-Oxilie mariée le 16 novembre 1877 avec célestin Martel, elle eut deux enfants, une fille et un garçon. Célestin qui allait travailler dans les filatures aux États- Unis où il se fit arracher un bras par une courroie. En deuxième mariage avec J. Ménard de Montébello, elle est la mère de Victor, Hector et Pierre ménard. Et en troisième mariage avec un dénommé Patris. Ma tante Louise marée avec Charles Turgeon est décédée relativement jeune. Elle laissa quatre filles et trois fils: Caroline marée avec Émery Bélisle, Elmire mariée avec Séraphin Bélisle, Louise mariée avec Joseph Séguin, Sophie mariée avec Augustin Marcotte, François (qui s’en alla aux États-Unis et mourut jeune), Théophile (qui partit à l’âge de 20 ans aux États-Unis et dont ils ne reçurent aucune nouvelle) et Aimé marié avec Elmire Marcotte (on l’appelait Ti-Mé).

Ma tante Angèle, mariée avec Joseph Provost, furent dans les premiers colons à s’établir dans le rang de Valency dans le canton de Ripon. J’ai connu toute la famille à l’exception de Joseph qui alla s’établir à la Rivière française et David qui demeurait à Sudbury. Mon oncle Jean marié à Saladine Turgeon eut trois fille et quatre garçons. Sa femme était la fille de François Turgeon qui demeurait sur le chemin Héron non loin de chez mon grand-père Sabourin. Les trois filles étaient : Éloïse mariée avec Édouard Couillard, Sophie mariée avec Alfred Lecompte et Florentine mariée avec Adolphe Girard. Les quatre garçons étaient : Johnny marié avec Exélir Bélisle en premières noces, Marie-Louise Chartrand en deuxièmes noces et en troisièmes avecune femme dont j’oublie le nom, David marié avec une demoiselle Paquette (?), Raphaël marié avec Florida Louiseize et Émile marié dans le nord de l’Ontario.

Ma tante mourut au mois de février 1897 et, en 1902, ils allèrent s’installer à Blézard-Valley, Mon oncle Raphaël avec Hermésine Bélisle, mourut relativement jeune et sa veuve se remaria avec un dénommé Leblanc de East-Templeton. Ils eurent trois enfants. Une fille qui se maria avec Ed. Potvin de East-Templeton et deux garçons, Ovila et Raphaël, qui partirent jeunes pour Détroit puis vers l’Ouest canadien et américain, pour s’établir finalement à Priest-River dans l’Idaho non loin de la frontière canadienne, une vallée très fertile. Raphaël, lors d’une visite, apporta un pied d’avoine qu’il avait arraché et pilé pour mettre dans sa valise. Une fois dressé, il mesurait 7 pieds. La grande fertilité des vallons s’explique par le fait que les rivières, qui prennent leur source dans des montagnes très abruptes, lavent ces montagnes depuis des milliers d’années et charrient les détritus animaux et végétaux. À la crue des eaux, les rivières inondent ces vallons et y laissent ces détritus en se retirant. Ce phénomène est semblable à celui de la vallée égyptienne, qu a gardé, malgré des milliers d’années de culture, sa fertilité et ce grâce à l’apport d’engrais que lui apportent le Nil et son connfluent le Nil bleu qui prend sa source dans les montagnes d’Éthiopie. Pour en revenir à mon récit, Ovila se maria aux États-Unis puis divorca et on n’en eut plus d’autres nouvelles. Raphaël revint s’établir à Montréal vers 1914 et épousa Cléphir Campeau de East-Templeton. Une fille leur survécut, Germaine, mariée à Paul Panneton. Ils demeurent à Montréal.

Charles Lacoste dit Languedoc

Mon grand-père, Charles Lacoste, est né à Boucherville en 1794 et se maria le 24 octobre 1814 à Josephte Riendeau. Le 14 mars 1821, il acheta de Joseph Thomas dit Tranchemontagne, une terre située à un mille en bas de Montébello, en face du pont de la rivière Saumon sur la vieille route. C’est là qu’il vint demeurer, et c’est là que mon père est né le 6 janvier 1825. En 1842, avec un groupe de Montébello dont Louis Racicot, Raphaël Marcotte, Augustin Bélisle et Vital Bertand, il vint s,établir dans le rang Saint-Louis. Il y prit une terre du seigneur Papineau. Une autre famille Lacoste, des petits-cousins de mon père,
vint aussi s’établir dans le rang Saint-Louis. Il s’agit de François, Eusèbe, Charnum, Samuel et Clément Lacoste ainsi que Clément Dion marié à Clémentine Lacoste. La vie de colon était très dure dans ce temps-là. Il leur fallait défricher un endroit pour y bâtir lerur première maison. Tout se faisait à la hache. On ne parlait pas de scie à chaîne dans ce temps-là. Le bois de pin et de chêne était réservé au seigneur. On employait le cèdre pour bâtir. Le bois franc n’avait de valeur que pour le fendre afin de faire de la potasse. Pour ce faire, il fallait couper et empiler le bois pour le faire brûler puis recueillir la cendre dans une espèce de trémie que l’on fabriquait avec une auge et des planches de bois fendues. On arrosait la
cendre et on recueillait la lessive pour la réduire en potasse. Cette potasse était vendue à Montébello. Le Canada expédiait beaucoup de potasse en Europe, mais la découverte de gisements de potasse en Yougoslavie ruina le commerce. Il arrivait quelquefois qu’un orage vînt tout gâter avant qu’on ait pu recueillir la cendre et il fallait tout recommencer.

En ces temps-là, tous les gens, ou à peu près, étaient très pauvres. L’hiver, les hommes allaient aux chantiers pour huit à dix dollars par mois. L’été revenu, ils se hâtaient de défricher pour pouvoir semer un peu de sarrazin, lequel était ensuite moulu pour en faire des galettes. c’était la base de leur nourriture. On semait aussi des pois pour la soupe. aussitôt qu’il le pouvait, s’ajoutait de la vache, du porc ou du mouton à ce menu. C’était évidememnt à la condition qu’ils aient assez grand de « désert » pour les nourrir. La chasse et la pêche les aidaient aussi à subsister. Notons qu’il y avait beaucoup de tourtes à cette époque.

Ils défrichèrent les hauteurs et même les coteaux en premier et ceci en raison du bois franc pour la potasse. Les terrains bas furent défrichés en dernier. Ils devaient tout faire à la main. Le brayage du lin, le tissage du lin et de la laine pour s’habiller, le nattage de la paille pour les chapeaux ainsi que le plissage de la peau de boeuf pour les souliers. La terre était fertile et tout poussait abondamment. Ils semaient à la pioche à travers les souches.

Ils faisient partie de Montébello et ils allaient à la messe à travers les bois, parcourant une distance de près de dix milles. Ils traversaient la Nation au Portage. Ils étaient très pauvres et cependant ils étaient heureux avec leurs familles nombreuses, car ils avaient un courage à toutes épreuves et une foi inébranlable. C’était une vie de misère que les générations d’aujourd’hui ne toléreraient pas.

En 1852, mon grand-père vendit sa terre et, avec mon père ainsi qu’un bon groupe de Saint-André-Avellin et de Montébello, ils émigrèrent aux États-Unis. Ils s’établirent à Kankiki au sud de Chicago dans l’Illinois. Il y avait alors beaucoup de trouble aux États-Unis à propos de l’esclavage. Le Congrès avait aboli l’esclavage mais les états du Sud s’objectèrent, prétendant que, sans les esclaves, ils ne pouvaient cultiver le coton et la canne à sucre. En 1821, le Congrès adopta un compromis selon lequel la ligne 36 degrés 30 minutes serait la ligne de démarcation entre le nord et le sud. L’esclavage serait permis au sud de cette ligne et défendu au nord. Cet accord dura jusqu’en 1850 lors de la demande de la Californie pour entrer dans l’union comme état libre.

À suivre… (2ème partie dans un prochain article)

Philippe Lacoste le « vieux radoteux », St-André Avellin

Image de couverture: Saint-André-Avellin vers 1890, source BAnQ.

Comments are closed.